mercredi 1 avril 2015

Portrait #1: Usman Khan (sitar)

Kalasetu vous propose de découvrir régulièrement un artiste indien au travers d’un portrait illustré. Le premier de la série est consacré au joueur de sitar, Ustad Usman Khan.
Par Laetitia Ferrière et Ingrid Le Gargasson


Ustad Usman Khan : le sitar en héritage




Alors que Paris scintillait de mille et une paillettes à la Philharmonie pour un « week-end Inde » au menu de Maharaja, le Musée Guimet et le théâtre du Soleil offraient, fin janvier, un programme discret tout aussi savoureux. Kalasetu a opté pour les pépites du « off » de ce « week-end Inde » en allant à la rencontre du maître Usman Khan, joueur de sitar invité pour un concert et une lecture‑démonstration.


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Du haut de ses 75 ans, c’est un homme d’une grande sagesse que nous avons rencontré. C’est donc avec un réel plaisir que nous nous sommes entretenus avec lui lors de son passage à Paris, dans l’atmosphère chaleureuse de l’appartement de Mitchélée[1].

Quarante-quatre ans après sa première visite en France pour un concert donné au Musée Guimet, le sitariste est revenu le 30 janvier dernier dans cette institution pour une soirée exceptionnelle.  Grâce à l’accueil d’Ariane Mnouchkine et de Jean-Jacques Lemêtre, une présentation commentée de deux heures s’était tenue le dimanche suivant au Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes. Pour ces deux événements, le maître était accompagné de Prakash Kandasamy, un tabliste malaisien d’origine sud indienne. 


Une vie en musique, de Dharwad à Pune

Issu d’une famille de musiciens dits « héréditaires » spécialisés depuis trois générations dans la pratique du sitar, Usman Khan a été formé par son père, Ustad Abdul Karim Khan et brièvement par son grand-père, le célèbre Ustad Rehmat Khan alors qu’il était enfant. Ses aïeuls étaient quant à eux des chanteurs et des joueurs de rudra vina. Eduqué dans la ville musicale de Dharwad au Karnataka, dans une région du Sud de l’Inde qui a produit certains des plus grands chanteurs de la musique classique de l’Inde du Nord du 20e siècle (Sawai Gandharva, Gangubai Hangal, Bhimsen Joshi, Mallikarjun Mansur pour en nommer quelques‑uns), le musicien est aujourd’hui installé dans une autre ville renommée pour sa vie culturelle et son public d’esthètes : Pune, au Maharashtra. C’est d’ailleurs dans ce centre urbain que se tient chaque mois de décembre le prestigieux festival de musique, le Sawai Gandharva Bhimsen Mahotsav[2], qui attire sur quatre jours des milliers de connaisseurs.

Élevé dans la tradition du guru shishya parampara, le sitariste raconte quelques souvenirs de son enfance : «  Mon père me réveillait à 4 heures du matin et je devais pratiquer le sitar durant 2 heures et demi. Puis, je me préparais pour aller à l’école. De retour de l’école, je m’asseyais aux côtés de mon père pendant encore plusieurs heures ».
Passionné de cricket (comme beaucoup de jeunes indiens), son père craignait qu’il ne se blesse et que sa pratique du sitar en pâtisse. Il tentait donc de restreindre l’engouement  de son fils pour ce jeu, sans le lui interdire pour autant. Les jours de matchs, il se réveillait de son propre chef à 4 heures. Son père le félicitait et disait à sa mère : « C’est bien, il commence à comprendre l’importance de l’effort dans l’apprentissage de son instrument ».

Il nous relate la façon dont son père lui a enseigné l’instrument : « je devais jouer le raga bhairav tous les matins et le raga yaman tous les soirs, ceci pendant huit ans ! Je n’en pouvais plus ! D’autres élèves venaient et mon père leur enseignait plein de ragas différents. Il me disait alors de les accompagner aux tablas. La semaine suivante, lorsque les élèves revenaient et qu’ils avaient oublié leur leçon, mon père me demandait ce qu’il leur avait enseigné. Si je ne pouvais pas répondre, mon père me grondait. Pourquoi me grondes‑tu ? Ce n’est pas à moi que tu as donné la leçon ? C’est seulement quelques années plus tard, que j’ai compris que c’était à moi qu’il enseignait indirectement les ragas ».


Un pédagogue engagé

Le maître est investi depuis de nombreuses années dans la transmission de son répertoire et de sa technique, au sein de son institution, le Naad Mandir (« le temple du Son »), à Pune. Il y forme des musiciens indiens autant qu’étrangers. Il essaye de rester fidèle au style musical et à la pédagogie adoptée par son père, même s’il autorise à présent les élèves à prendre des notes. En tant qu’aide‑mémoire, le cahier pousse selon lui à la paresse : « l’étudiant se dira  ‘j’ai ma leçon quelque part, je n’ai pas besoin de pratiquer dans l’immédiat’ ».

Le guru transmet son savoir au disciple qui doit à son tour l’expérimenter par la pratique. La musique classique indienne vise la perfection technique et exige en ce sens un investissement total de la part de l’apprenant. Usman Khan se montre sévère tout en étant compréhensif : « s’il n’y a pas un investissement et une pratique continus de la part du disciple, c’est une perte de temps, mais il est vrai que les temps ont changé. Les étudiants ne peuvent plus se lever à quatre heures du matin pour faire leur leçon » « Pourquoi ? » « Parce qu’ils regardent des films jusqu’à 3h30 du matin !!! »

Le maître détaille les trois étapes constituant le parcours de tout élève de musique hindoustanie : d’abord la technique au travers d’une pratique intense de la musique, puis l’acquisition de la « théorie » (theory) soit les particularités des ragas ou « la grammaire du raga » pour reprendre son expression et enfin la « musique comme un art » pour atteindre un contenu émotionnel. À ce niveau, deux dimensions entrent en jeu, l’esthétique et l’émotion, les sentiments et la beauté. Comme il le résume : « nos gurus disent : en premier lieu, travaille avec ton corps, puis travaille avec ton esprit et enfin, mets‑y ton cœur ». Cette citation reflète très bien l’esprit du mode traditionnel d’enseignement, à savoir la transmission de maître à disciple (la guru-sishya-parampara) qui insiste durant les premières années sur l’aisance technique avant d’aborder dans une deuxième phase les caractéristiques de chaque raga et les différentes phases de leur élaboration en contexte de performance.

Ustad Usman Khan enseigne depuis près de soixante ans. À ce titre, il est devenu un maître reconnu. Un guru connaît son élève et l’aide à grandir, à progresser dans son apprentissage de l’art. Il prend parfois des chemins détournés pour arriver à son but. « La différence entre un enseignant et un guru est la suivante : les deux enseignent, mais l’enseignant ne fait qu’enseigner, le guru sait quand il ne faut pas enseigner, et à qui il ne faut pas enseigner ».
Il conclut d’ailleurs humblement : « le plus difficile n’est pas d’être guru mais d’être disciple. Pour cela il faut jeter tout son ego, maîtriser le flux de ses pensées ; c’est ce qu’on appelle la sadhana (discipline ou réalisation de soi) ». L’enseignement peut être terminé, mais l’apprentissage continue toute la vie.

Fait assez rare pour être souligné - les femmes des familles de musiciens professionnels ayant souvent l’interdiction de se produire sur scène - le maître qui n’a pas eu de fils a transmis son savoir à l’une de ses filles qui enseigne aujourd’hui à ses côtés. Sa petite-fille, aujourd’hui âgée d’une vingtaine d’années, pratique également l’instrument. Nous espérons que cet exemple ouvrira la voie pour d’autres familles de musiciens héréditaires qui restent encore bien souvent hésitantes à l’idée de former leurs filles.

* Bref retour sur la présentation au Théâtre du Soleil et sur le concert à l’auditorium du Musée Guimet



Lors de la présentation illustrée au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie, le musicien a interprété le raga carukeshi, un raga emprunté à la tradition carnatique qu’affectionne particulièrement Ustad Usman Khan, dans le cadre d’un cycle à 16 temps (tintal). Une composition (gat) en tempo lent (vilambit) et une deuxième en tempo rapide (drut) ont suivi le prélude non mesuré (l’alap). En une dizaine de minutes, l’essence du raga a ainsi été soulignée.

Le maître qui a débuté et fini en musique a détaillé les caractéristiques de son instrument avant d’introduire les spectateurs au cadre mélodique du raga et au cadre rythmique du tala. Prakash Kandasamy a présenté plusieurs talas communs de la musique hindoustanie (tintal, jhaptal, rupak) et expliqué le langage des bols, les onomatopées matérialisant les frappes sur les deux tambours composant le tabla.
Concernant l’histoire de son instrument, le maître a attribué sa création au célèbre poète et saint  soufi médiéval Amir Khusrau (1253‑1325), chroniqueur à la cour de plusieurs souverains du sultanat de Delhi (13e-15e siècle), conformément à la tradition orale qui l’accrédite de nombreuses autres inventions (tels les genres qawwali et tarana). Il est aujourd’hui une figure populaire en Asie du Sud et les histoires mythologiques relatant les contributions musicales d’Amir Khusrau font parties des connaissances partagées par les musiciens hindoustanis.
Cependant, depuis les avancées de la recherche historique et ethnomusicologique, notamment les travaux fondateurs de la chercheuse américaine Allyn Miner, Sitar and Sarod in the 18th and 19th Centuries, il est assuré que la forme du sitar s’est fixée beaucoup plus tardivement.



Au Musée Guimet, Ustad Usman Khan a débuté son récital par le raga jogeshwari, un raga généralement attribué au sitariste Pandit Ravi Shankar. Après la présentation de ce raga du soir à l’accent mélancolique, dans le traditionnel format alap-jod-jhala, le musicien a présenté une de ses très belles compositions (gat) dans un tintal (cycle à seize temps), joué à tempo modéré (madhya laya), avant d’accélérer progressivement le tempo.
Usman Khan a ensuite exposé un dhun, une « pièce de musique légère » comme il le définit lui‑même, dans le raga khamaj, d’abord sur le tala dipcandi, structure métrique de quatorze temps avant de passer au tala kaharva, un cycle composé de huit temps dont l’effet « swingant » a été très bien rendu par Prakash Kandasamy. Le maître a poursuivi avec la présentation d’un de ses ragas préférés, le raga sud indien kirwani : un alap-jod-jhala suivi d’un gat en tintal, à tempo modéré (madhya) puis rapide (drut). Comme il est souvent d’usage, le maître a conclu son récital par une courte pièce dans le raga bhairavi.

L’auditoire attentif a été touché par le jeu subtil du maître et la sonorité mélodieuse du sitar soulignée par une sonorisation parfaite. Bien loin des démonstrations techniques devenues aujourd’hui la norme parmi la nouvelle génération de sitaristes, le jeu délicat d’Ustad Usman Khan a donné vie aux ragas interprétés. Le temps s’est même arrêté durant les 2h30 du récital, chacun s’étant laissé délicieusement emporter par la musique.

S’adressant au public de mélomanes, le sitariste a rappelé que la musique est avant tout une histoire d’émotions : « il y a beaucoup à ressentir dans l’art et peu à comprendre. La musique voyage de cœur à cœur, d’âme à âme »[3]. Cette remarque renvoie au concept vernaculaire du sahdaya (lit. « avec le cœur »), le « spectateur sensible », qui sait goûter la saveur émotionnelle du raga pour expérimenter une jouissance esthétique. Le public présent a vraisemblablement ressenti un grand plaisir à écouter le maître et l’a manifesté par une standing ovation.










[1] Chanteuse, conteuse, élève d’Ustad Usman Khan, à l’origine de l’organisation de ces deux événements. Pour plus d’informations, veuillez consulter son site : lecorpsdeloeuvre.com.
[2] Précédemment connu sous le nom de Sawai Gandharva Sangeet Mahotsav. Le nom de Bhimsen a été ajouté au nom du festival après la mort du chanteur Pandit Bhimsen Joshi, installé à Pune, en 2011. Pt. Joshi était l’initiateur du festival célébrant la mémoire de son maître Pt. Sawai Gandharva (1886-1952), festival dont la première édition s’était tenue en 1953.
[3] « There is a lot to feel in art and not to understand. The music is travelling from heart to heart, soul to soul ».

1 commentaire:

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